Laurence Vlasman
Psychologue clinicienne, psychothérapeute, et psychanalyste à Versailles
Laurence Vlasman
Psychologue clinicienne, psychothérapeute, et psychanalyste à Versailles

Le pervers narcissique


     Que ce soit dans les films ou les médias, l’on entend souvent parler de personnes qualifiées de « pervers narcissiques ». Mais que représente exactement cette appellation utilisée pour la première fois par le psychiatre-psychanalyste Paul-Claude Racamier, en 1986 ?

Présentation générale

     Avant toute chose, il importe de ne pas confondre « pervers narcissique » et « trouble narcissique ».

     La perversion narcissique désigne une forme de structure psychique. Plus précisément, il s’agit d’une psychose, sans hallucinations ni délires. C’est une maladie psychiatrique grave qui ne se soigne pas.

     Plus concrètement, le sujet pervers narcissique est à la fois narcissique et pervers. En tant que narcissique, il est obsédée par l’image qu’il renvoie aux autres et dépense d’ailleurs beaucoup d’énergie à cultiver cette image, cherchant continuellement à être au centre de l’attention.

     Les sujets narcissiques sont particulièrement centrés sur eux-mêmes, mais ils sont également susceptibles, n’acceptant pas du tout la moindre critique.

     De plus, les narcissiques sont incapable d’éprouver de l’empathie ; en cela, ils ne peuvent comprendre l’autre, leurs sentiments, leur souffrance comme leur joie. Ils sont tout aussi incapables de compassion et donc, de « ressentir » ce que l’autre ressent. Plus généralement, ils ne s’intéressent pas à l’autre.

     Mais les pervers narcissiques sont également caractérisés par des troubles pervers graves. En tant que sujets sadiques, ils éprouvent une jouissance à faire souffrir l’autre. Ils instrumentalisent l’autre et font de lui un objet et non plus un sujet. En cela, les pervers narcissiques déshumanisent l’autre, raison pour laquelle ils sont extrêmement « toxiques ».

     En outre, les pervers narcissiques sont d’autant plus dangereux qu’ils sont très difficiles à identifier. En effet, au quotidien, ils se placent à la limite des gens « normaux ». Et c’est  bien là que réside toute la complexité à les repérer car les personnes dites « normales » réfléchissent et interprètent les comportements des autres, en se fondant sur les repères propres à la normalité.

     En cela, elles ont beaucoup de mal à faire la différence entre un sujet présentant une forme d’égocentrisme, d’égoïsme, de narcissisme et un sujet pervers narcissique souffrant d’une pathologie grave et dangereuse.

     S’ils parlent beaucoup d’eux-mêmes et se mettent en permanence en valeur, les pervers narcissiques sont également en permanence dans la séduction. Ils sont manipulateurs, ce dont les autres ne se rendent pas forcément compte au début. Or, c’est en raison de leur capacité à séduire et manipuler autrui, que les pervers narcissiques font énormément de dégâts autour d’eux.

Les caractéristiques comportementales du pervers narcissique

    Avant tout, si l’on présente le plus souvent le pervers narcissique comme un sujet masculin et sa victime, comme un sujet féminin, il faut savoir qu’il existe également des pervers narcissiques de sexe féminin. En cela, les comportements, les techniques de manipulation et d’emprise caractéristiques des pervers narcissiques peuvent être le fruit d’un homme sur une femme, d’une femme sur un homme, mais aussi d’un homme sur un homme ou d’une femme sur une femme.

     Dans son comportement quotidien, le pervers narcissique ment sur tout, partout, tout le temps. En termes de conscience, il est incapable de se remettre en question. Il ne prend jamais conscience de quoi que ce soit car, dans son esprit, derrière le mur de ses mensonges, c’est le vide. En cela, toute prise de conscience entraînerait un risque de décompensation (soit le passage irrémédiable et irréparable de la névrose à la psychose).

     Le but du pervers narcissique est d’avoir une emprise totale sur l’autre (ses pensées, ses sentiments, son temps, ses actions et jusqu’à sa manière d’être).

     Sur le plan émotionnel, le pervers narcissique a des moments d’euphorie et des moments de déprime. Ces symptômes sont comparables à ceux des sujets dits « bipolaires ». Toutefois, à la différence des personnes bipolaires, le pervers narcissique jongle entre ses émotions et ne prend jamais conscience de son état émotionnel : il est prit dedans.

     En outre, lorsqu’une personne bipolaire sort d’une phase de crise, elle est capable de prendre conscience de son propre état émotionnel. Tandis que, de son côté, le pervers narcissique est froid, surtout quand il manipule l’autre et ne prend pas conscience de la façon dont il se comporte.

     Notons enfin que le pervers narcissique possède des mécanismes de défense complexes et efficaces. Parmi ces derniers, il en est qui est fondamental : il s’agit de l’identification projective. Pour l’exprimer clairement, le pervers narcissique attribue à l’autre des choses qui l’habitent lui-même. L’on pourrait dire : « C’est lui, avec lui. » Ainsi, lorsqu’un pervers narcissique dit à sa victime : « Je n’ai pas confiance en toi », cela veut dire qu’il n’a pas confiance en lui.

Différence entre personnalité paranoïaque et pervers narcissique

     Le pervers narcissique ne doit pas non plus être assimilé ou confondu avec les sujets souffrant de paranoïa (en tant que maladie psychiatrique) ou « à tendances paranoïdes » (en tant que troubles de la personnalité).

     En effet, le paranoïaque craint qu’on lui veuille du mal. Tandis que, de son côté, le pervers narcissique craint l’humiliation.

     Plus largement, la personnalité paranoïaque est marquée par :

  • une incapacité à être proche de l’autre;
  • une forme d’orgueil;
  • une psycho rigidité dans les principes;
  • l’incapacité à être dans la nuance face à la réalité.

     Pour sa part, le pervers narcissique n’est pas psychorigide. Il a une psychologie qui l’arrange, qui valorise son narcissisme.

Profils des victimes de pervers narcissiques

     En premier lieu, il convient de souligner que le pervers narcissique a beaucoup d’intuition pour repérer ses proies.

     Plus précisément, le pervers narcissique va être attiré par des personnes riches et généreuses - que ce soit sur le plan émotionnel, intellectuel ou financier.

     Il se tourne également vers celles et ceux qui se remettent en question et qui, de ce fait, sont plus souples, plus malléables et donc plus facilement manipulables.

     Souvent, les proies des pervers narcissiques sont des personnes ayant des blessures d’abandon, des carences affectives, un immense besoin d’être aimées et/ou qui ne se sentent pas digne d’être aimées.

     Enfin, les victimes de pervers narcissiques ont généralement subi des abus (sexuels, psychologiques), ainsi que des actes/paroles de dévalorisation.

Mode d’action du pervers narcissique

     Au cours de la relation entretenue avec sa proie, le pervers narcissique va « décérébrer » cette dernière. Le terme « décérébrer » a été inventé par le psychiatre Paul-Claude Racamier et décrit parfaitement l’action menée.

     La proie, dans sa pensée, va se déconnecter de plus en plus de ses émotions personnelles, de son libre arbitre, de sa manière de penser et de ressentir les choses qui lui est propre.

     Ainsi, petit à petit, la victime va-t-elle devenir incapable de penser normalement par elle-même. Elle ne va plus se souvenir de son passé, ni de qui elle est, ni de comment elle ressent et interprète les choses de la vie. Sa pensée va être manipulée, et totalement sous contrôle.

     Rapidement, la victime perd l’ensemble de ses repères, de ses signifiants et finit par être totalement sous l’emprise de son bourreau, sans même s’en apercevoir. La prise de possession de sa pensée est telle, que la victime finit par trouver cela normal. Dans certains cas, cela peut conduire la victime à « perdre la tête ». L’on sait d’ailleurs bien que le but de certains pervers narcissiques est de rendre l’autre fou. C’est là sa jouissance.

     Pour ce faire, le pervers narcissique utilise son don de manipulation de l’autre, consistant à faire croire que c’est lui qui a raison et la victime qui a tord.

     Or, l’allié de la pensée, c’est l’émotion. Mais quand une victime éprouve des émotions négatives (à cause d’abus divers ou d’abandon ayant été subis, comme décrit plus haut), elle finit par être déstabilisée dans ses ressentis. Et cela aboutit à une altération sur le plan cognitif. Concrètement, la victime ne peut plus penser librement. Sa pensée peut même, par moment, être totalement figée.

     Le pervers narcissique ayant lui-même un trouble de l’émotion, il peut très bien dire à sa femme des paroles contraires comme par exemple : « Tu es jolie mais qu’est-ce que tu es grosse. »

     Très vite, la proie perd ses repères (repères identitaires, personnalité propre, référents intellectuels ou culturels…) et l’on peut voir chez certaines personnes sous emprise, une forme de décompensation. C’est en cela que le pervers narcissique déshumanise l’autre.

     Il instrumentalise l’autre au service de son plaisir. Et ce faisant, sa proie devient, pour lui, une poubelle psychique.

Pourquoi les proies restent-elles avec un pervers narcissique ?

     Si les proies restent, c’est parce que, comme indiqué, elles n’ont plus aucun autre repère. En effet, lorsque le pervers narcissique a atteint la phase d’emprise sur sa proie, il lui tient désormais lieu de seul et unique pilier mais aussi de seul et unique référent.

     En outre, comme susmentionné, les proies sont souvent des personnes ayant subi une blessure d’abandon et qui ont un besoin impérieux d’être aimées et considérées. Or, coupées de leurs référents habituels (parents, proches, amis), seul leur conjoint leur tient lieu de référent d’amour. La proie pense que, depuis l’enfance, elle n’est pas digne d’être aimée et, de son côté, le pervers narcissique lui impose l’idée qu’il est le seul à l’aimer.

     En cela, si la proie part, elle devra faire face au vide de cette présence qui lui apparaît comme « un pilier », et supporter simultanément plusieurs types de deuils douloureux, don celui de la relation de couple.

     En outre, les personnes sous emprise sont souvent paralysées par la peur qui les empêche d’agir, de fuir. Des peurs qui, facteur aggravant, peuvent faire écho à des choses difficiles vécues durant l’enfance et qui sont réactivées sous l’emprise d’un pervers narcissique.

     Toutefois, il est essentiel de souligner que toutes ces questions autour de la peur, de l’abandon, du manque d’estime et de la perte de repères peuvent être travaillées en psychothérapie. En cela, le travail psychothérapique permet à la victime, de prendre conscience de ce qu’elle est en train de vivre, de mettre des mots sur ce qu’elle a pu vivre par le passé et, ainsi, de passer du statut d’objet à celui de sujet.

Comment se comporte le pervers narcissique avec ses propres enfants

     La plupart du temps, le pervers narcissique a une relation d’emprise sur ses enfants. En effet, le parent pervers utilise ses enfants comme un prolongement narcissique de lui-même.

     L’enfant du pervers narcissique ne peut pas construire une identité propre, ni avoir de désir propre, ni s’approprier une vie propre.

     Ce sont souvent des enfants que l’on exhibe lors des dîners, en tant qu’objets servant à satisfaire le narcissisme du parent pervers narcissique.

     En revanche, quand un enfant réussit, le parent pervers narcissique va aussitôt l’humilier, le rabaisser, en accumulant les petites réflexions sanglantes.

Les enfants de parents pervers narcissiques deviennent-ils, à leur tour, pervers narcissiques ?

     Ne nous voilons pas la face, certains enfants élevés par un parent pervers narcissique deviennent à leur tour, pervers narcissiques.

     Toutefois, il arrive aussi que les enfants reproduisent différents comportements pervers observés, sans pour autant devenir des pervers au sens psychiatrique du terme. Pour ces cas précis, il s’agira de faire un travail psychologique pour que la prise de conscience se fasse.

     Ajoutons que les enfants de pervers narcissiques peuvent également devenir, à leur tour, de futures victimes. En effet, ces enfants ont été à ce point humiliés, traités de moins que rien qu’ils pensent ne pas être aimés ni même pouvoir être aimés ou considérés.

Comment une victime peut-elle s’en sortir ?

     La première chose à faire : FUIRE.

     Le pervers narcissique est inguérissable, mais pour la proie, il s’agit de sauver sa peau.

     Pour se mettre à l’abri et se sauver soi-même, l’essentiel est de se retrouver et de vivre dignement. Pour cela, les proies doivent se documenter, lire et consulter pour prendre pleinement conscience de la gravité de la situation qu’elles vivent, mais aussi pour prendre du recul et se « retrouver » elles-mêmes. Retrouver leur identité, leur individualité, leurs pensées propres, leur personnalité.

     Pour le dire plus simplement encore : pour qu’une victime de pervers narcissique puisse s’en sortir, elle doit se remettre à penser.

     Il faut également faire du lien, parler de ce que l’on vit chez soi, sortir, voyager, se faire plaisir, renouer avec ses amis. Cela est fondamental pour que les victimes puissent se réhabituer à réfléchir mais aussi à ressentir, à se questionner, se remettre en question, se souvenir de qui elles sont et se retrouver en tant que sujets.

     Et si la proie est unie par les liens du mariage à un pervers narcissique, il ne faut pas hésiter à divorcer, même lorsque le couple a des enfants. En effet, se protéger soi-même, c’est aussi protéger les enfants. C’est protéger leur présent mais aussi leur avenir. En cela, le plus beau cadeau que puisse offrir une femme à ses enfants, lorsqu’elle est sous l’emprise d’un pervers narcissique, est de quitter cet homme.

     Par la suite, une fois hors de danger, les victimes doivent se reconstruire. Cette étape pourra passer par une série de questionnements : « Qu’est-ce que j’aime ? Quelles sont les personnes que j’ai envie de rencontrer ? Quel est le sens que j’ai envie de donner à ma vie ? »

     Il s’agira aussi de faire le deuil de la relation vécue, en n’oubliant pas que l’amour avec un pervers narcissique n’existe pas. En effet, pour le pervers narcissique, l’autre n’est pas un sujet, mais un objet servant son propre narcissisme.

     De même, un travail autour du corps sera nécessaire. Comme vu précédemment, les pervers narcissiques ont pour habitude de flatter et sitôt après, d’humilier, de rabaisser, de critiquer vivement le corps de l’autre, ce qui est un mode de prise de possession psychique très efficace. Pour la victime, il s’agira donc de se réapproprier son corps, son rapport à son propre corps et son rapport au corps de l’autre.

     Enfin, la victime devra accepter de n’avoir jamais été comprise, étant donné qu’un pervers narcissique est incapable d’empathie - ce en quoi, il est donc incapable de comprendre l’autre. Au-delà et de manière structurelle, elle devra aussi retrouver le sentiment intime qu’elle existe en tant que sujet.

Bibliographie

     Bouchoux, J.-C. (2014), Les pervers narcissiques, éd. Pocket, coll. Evol – dev’t personnel, 216.

     Hirigoyen, M.-F. (2006), Les femmes sous emprise, éd. Pocket, 320 p.

Autres références

     Leclercq, A. (2016), Fred et Marie et Marie et Fred, deux courts métrages, en accès libre sur Youtube. Url : https://www.youtube.com/watch?v=wokOgLqdtf4 et https://www.youtube.com/watch?v=KGs-Jo23ufk (consulté le 6 avril 2020).


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